Pierre Routhier  IEN

La culture c'est dans notre nature…


Il y a dix ans, mon prédécesseur, M. Lucien Couderc, inspecteur de la circonscription de Langres, notait dans le numéro 1 de ce journal deux évolutions importantes dans le fonctionnement des écoles rurales, avec d'une part la création des AGRER tissant des liens entre elles, et d'autre part l'apparition d'un journal de secteur dont la rédaction par des comités d'enfants constituait un outil pédagogique original et efficace.


Depuis dix ans, non seulement "Vivre Ici" a largement tenu ses promesses, mais il s'est imposé comme élément d'identité incontournable du territoire rural de « La Montagne ».

Avant ma nomination à Langres, j'avais déjà connu des expériences partielles d'animations sur des mini-circonscriptions à Chevigny St Sauveur dans la périphérie est de Dijon puis à Venarey les Laumes au nord-ouest de la Côte d'or. Cette dernière était incluse dans la vaste circonscription rurale de Semur-en-Auxois où l'Inspecteur, M. Michel Fillon, présidait et dirige toujours l'association culturelle et sportive Jean Zay, dit l'AZ, très dynamique sur 10 cantons côte-doriens.

L'animation péri-éducative qui existe sur les douze cantons haut-marnais de la circonscription langroise est un peu différente puisqu'elle est largement déconcentrée sur cinq associations de secteur que les enseignants reconnaîtront facilement : CREA, le P'tit Bassignot, l'Amicale Laïque de Bourbonne, l'ACCES et La Montagne.

Ainsi des fonctionnaires rémunérés par l'Etat, et qui ont une mission dévolue par l'Education Nationale, mettent leur implication, leur compétence et du temps, au service de la promotion locale par le biais du militantisme associatif. Si la mission impartiale du fonctionnaire d'un service public national ne coïncide pas toujours exactement avec les options de certains secteurs du monde associatif et leurs préférences, il y a néanmoins de nombreux points de convergence, en particulier la défense d'une forme d'humanisme et de citoyenneté.


La ruralité a beaucoup évolué depuis le milieu du siècle : des paysans aux agriculteurs, des campagnards aux néo-ruraux ou « rurbains ». Et pourtant il existe un décalage certain entre les grandes métropoles urbaines et nos zones rurales. Mais l'avantage n'est pas toujours aux premières. Il suffit pour s'en convaincre de penser à la pollution, à la délinquance ou au contraire à la qualité de vie. Les retards ne sont pas toujours là où on l'imaginerait…

Un Pays aussi fortement typé géographiquement que le nôtre peut-il posséder encore de nos jours une culture propre ? Faut-il mettre en concurrence l'esprit de clocher qui s'enferre souvent dans des rivalités intestines sans perspective, avec la pseudo culture insipide Coca - Mac-Do - Disney - Microsoft ? La modernité consistera-t-elle à remplacer la devise républicaine, gravée dans la pierre aux frontons de nos mairies-écoles, par l'affichage lumineux électronique du CAC 40 en « temps réel » ?

L'avenir n'apparaît plus aussi glorieux que dans les décennies précédentes. Au tournant du siècle et du millénaire, il convient de s'appuyer sur le passé pour aménager le présent et préparer l'avenir. Il serait bon de réfléchir sur la place de l'humain dans une société qui se veut essentiellement technique et marchande. Concernant l'identité locale, je citerai Claude Lévi-Strauss :

« Chaque culture se nourrit de ses échanges avec d'autres cultures. Mais il faut qu'elle y mette une certaine résistance. Faute de quoi, rapidement, elle n'aurait plus rien qui lui appartienne en propre à échanger. »

Pour exister, une culture de Pays ne doit être ni arrogante, ni effacée. Elle s'inclut dans celle d'une région d'une nation et de l'ensemble européen pour défendre des valeurs universelles. La préparation de l'avenir se gardera de nous rendre amnésiques, l'action d'exclure la réflexion, l'être de s'effacer devant l'avoir.

Affirmer son identité tout en restant à l'écoute de ce qui l'entoure et en conservant le sens critique, c'est bien justement l'esprit du journal « Vivre Ici ». Pour lui et pour nous, la culture c'est vraiment dans notre nature.

P. Routhier
Inspecteur de l'Education Nationale
à Langres
« Montagnon » d'adoption
et de conviction