Ephrem Jauvain, 105 ans, en famille d’accueil
chez Nadine Martin à Leuchey
Comme son compagnon
Henri Rozga, décédé en
2016, Ephrem se sent très
bien chez Nadine, une se-
conde famille en quelque
sorte, où s’établissent des
liens privilégiés.
"Ainsi,
Henri, qui a effectué le plus
long séjour chez moi (six
ans), se montrait jaloux de
mes enfants quand je les re-
cevais. Il pensait sans doute
que je lui enlevais un peu
d’affection et il boudait."
dit
Nadine.
"Comment m’est venue
l’idée d’installer ici une fa-
mille d’accueil ? J’ai tra-
vaillé chez plusieurs
personnes âgées et aidé une
femme qui tenait une pareille
structure à Chatoillenot. De
là, en 2008, j’ai franchi le
pas, en même temps que ma
soeur… Avec mon mari,
nous avons entièrement res-
tauré la maison familiale
pour la rendre accessible de
plain-pied, fonctionnelle et
confortable."
Après l’agrément obtenu du
Conseil Général, elle a eu
jusqu’à trois pensionnaires,
tâche prenante mais extrê-
mement épanouissante.
"Je
bénéficie d’une aide efficace
de l’EPAHD d’Arc-en-Bar-
rois pour la constitution des
dossiers, avec une période
d’essai des hôtes d’un mois
renouvelable et, bien sûr, je
me plie aux visites de
contrôle. "
A regret, elle doit
laisser partir des personnes
qui nécessitent des soins
pour des structures médicali-
sées. Aujourd’hui, monsieur
Jauvain constitue son seul
hôte.
Des horreurs
de la Grande Guerre
au second
conflit mondial
Emile Jauvain a beaucoup
parlé de la Grande Guerre à
son fils. Affecté d’abord au
222e RI véritablement mas-
sacré, il a intégré le 152e. Il
se trouvait dans le même ré-
giment que son beau-frère
Eugène, qu’Ephrem n’a vu
qu’une seule fois lors d’une
permission en 1915.
"Ce
dernier disparu à Verdun en
1916, mon père l’a vaine-
ment cherché, y compris en
retournant sur le terrain
après la fin des combats.
Mon aïeul, caporal puis ser-
gent, décoré de la croix de
guerre, a participé aux terri-
bles batailles de la Somme et
du Chemin des Dames. En
mars 1918, il a été désigné
comme instructeur des nou-
velles recrues. Les officiers
lui montrait comment sauter
dans une tranchée alle-
mande et égorger les
Boches, comme s’il ne le sa-
vait pas."
Ephrem se sou-
vient encore de l’armistice
du 11 novembre :
"alors ga-
mins, nous courrions der-
rière les plus grands qui
tiraient sur les cordes pour
lancer les cloches à la volée.
Nous étions heureux."
Revenu à la vie civile, Emile
Jauvain reprit de ses parents
une ferme de 30 hectares à
Noidant et de ceux de sa
femme une autre de 25 hec-
tares à Courcelles, surface im-
portante pour l’époque.
Ephrem effectua une période
de six mois de préparation
militaire à la caserne Turenne
à Langres avant son service
militaire d’octobre 1931 à oc-
tobre 1932, avec le grade de
caporal.
"Un jour, un lieute-
nant m’appela et me de-
manda si je possédais une
attestation de préparation mi-
litaire. Je lui répondis que oui
mais que le papier se trouvait
chez mes parents. L’envoi par
ceux-ci me permit de gagner
cinq jours de permission."
Le 26 novembre 1934, il
épousa une jeune fille d’à
peine 20 ans à Courcelles,
Marcelle Villemot.
"Ce ne
fut pas facile ; Elle était or-
pheline et mineure et je dus
obtenir l’assentiment de sa
grand-mère, sa tutrice. En
1935, naquit notre fils. Je me
suis alors installé sur l’ex-
ploitation d’une dizaine
d’hectares de ma femme à
laquelle s’ajoutèrent un tiers
des biens que possédait mon
père dans les deux villages.
J’ai pu ainsi agrandir ma
ferme et la moderniser. A
Courcelles, il y avait quan-
tité de vieux garçons et
vieilles filles qui ne deman-
daient qu’à vendre ou à
louer. Je louais à 2 quin-
taux/hectare. "
Vinrent encore une période
militaire au Val d’Aon en
1935 puis la mobilisation en
1939.
"Affecté sur le Rhin,
dans les mortiers de 81 mm,
je gagnai un concours de tir
sous le regard d’un général
qui, étrange coïncidence,
jadis avait été le colonel de
mon père. Je m’aperçus ra-
pidement de la pagaille qui
régnait. On ne nous fournit
pas de veste. Alors, lors des
gardes d’hiver à -15°, on se
gelait. Plus encore, on nous
fit changer nos pantalons
pour des culottes de golf. Ce
qui devait arriver arriva,
notre régiment encerclé par
les Allemands, fut capturé."
Cinq années de captivité
Ephrem fut acheminé au sta-
lag 5 A à Obersenten, près de
Ludwigsburg dans le Bade-
Wurtemberg, sous le matri-
cule 13 255. Par un
prisonnier cheminot et rési-
dant en Haute-Saône, libéré
dès 1940, sa femme sut où il
se trouvait.
"Je travaillai du-
rant trois ans et demi dans la
même ferme d’une dizaine
d’hectares, dotée de deux
bœufs, où je fus très bien
traité. En 1942, le com-
mando de 22 éléments se re-
nouvela profondément. Les
copains me portèrent à leur
tête car j’entretenais de
bonnes relations avec le
maire. Nous logions, à
l’étroit, au rez-de-chaussée
de la maison des jeunes.
GENS D’ICI
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Handicapé par des problèmes d’audition, de vue et de marche, Ephrem (prénom très rare) garde in-
tacte une formidable mémoire. Il se souvient du moindre détail de sa longue existence, qu’il aime
raconter.
Il a vu le jour le 25 août 1910 à Noidant-le-Rocheux, où existaient deux familles cousines du
même nom, au sein du foyer d’Emile Jauvain et de Julie Deschanet. Il eut deux frères, Raoul et
Gilbert nés respectivement en 1906 et 1912. Il n’a quitté son domicile à Courcelles-en-Montagne
qu’en 2010 pour gagner la maison de retraite de Nogent-en-Bassigny où il ne s’est pas plu, est
revenu chez lui, avant de découvrir la maison d’accueil de Nadine Martin, voici deux ans.
Orchestre durant la captivité. Ephrem est le 1
er
assis à droite.
Ephrem Jauvain aujourd’hui
Nadine Martin
La maison de Nadine et Philippe Martin à Leuchey.
Une famille d’accueil où l’on se sent bien.