Yves Pinguilly  auteur

La terre est ronde il faut en convenir

Je suis un nomade.
C'est vrai que mon cœur reste ancré dans l'Armor et l'Argoat de ma Bretagne… mais toujours l'alphabet m'a fait mettre les voiles ! Ainsi si je me souviens bien, j'ai toujours eu le cœur métissé.
Enfant, j'ai cru longtemps que le bout du monde était atteignable. Alors jeune adolescent, mon initiation fut de partir tourner autour du monde, mais sans rien découvrir sous les dentelles des sept mers, que des commencements.
Plus tard, - et aujourd'hui encore - j'ai continué à chercher, comme un marin fou, ce bout du monde qui n'existe pas.
Je persiste à partir Ailleurs, toujours Ailleurs, comme pour accélérer l'écriture qui seule sait, pour un moment, achever à mon exil dans ce monde. Mais le voyage est sans fin il faut y consentir.
La terre n'a pas de bout, elle est ronde il faut en convenir. Et, mes ancêtres étaient tous des menteurs qui me répétaient, à l 'époque où j'étais en culottes courtes « tu verras quand tu seras grand ».
J'ai grandi. Je n'ai rien vu. Il n'y a jamais plus à voir : c'est seulement en nous que se cache l'autre qui est en nous !

Aujourd'hui, de Ploumanach qui est dans le Trégor, à la porte des Pleurs qui s'ouvre sur la mer Rouge et à l'Est et au Nord du Nord, et derrière le Sud et après tout l'Ouest, je tente par l'écriture d'aller au bout de l'alphabet, d'épuiser toutes les lettres… comme si le Z était atteignable lui ! Comme s'il était l'absolu, le terme, la fin de l'infini...
Cette ultime lettre, je l'ai approchée à Caen, du côté du jour le plus long. Mais, les jours les plus longs ne sont que des jours.
Je l'ai aperçue à Aujeurres près de la source de la Seine, bien à l'abri dans la gueule de la Peûte Bête, sur la place du village.


Alors, je continue à être nomade pour mieux traquer tout l'alphabet. Je vais je viens, d'Ouvéa mouillée par le Pacifique à Rodrigues, perdu dans l'océan Indien ; de Korhogo capitale africaine du pays des masques à Saint Laurent du Maroni où le lait des jeunes mères indiennes reste tout blanc sous la lune.

Je retournerai en Basse-Normandie et sur le Plateau de Langres et ailleurs, au-delà de tous les méridiens. Je continuerai à faire semblant de partager avec l'océan le secret qui fait partir et revenir.

Yves Pinguilly, Janvier 1998